Médecin généraliste depuis 1983, j’ai toujours considéré ma pratique comme singulière. En effet cet exercice est, selon l’expression de Canguilhem1 , « un art au carrefour de plusieurs sciences ».
- Art de soigner (du grec « thérapeute » : prendre soin) au carrefour des sciences, sciences de la matière – physique -, sciences de la vie – biologie -, sciences humaines – psychologie -, anthropologie, ethnologie, sociologie, histoire des religions.
- Art au sens où l’écrit Kandinsky « l’art n’est pas une vaste création mais un but et doit servir à l’affinement de l’âme humaine ».
- Avant même la fin de mes études, j’avais réalisé que la biomédecine ne donnait pas de réponse satisfaisante au patient dans un grand nombre de cas, même hospitaliers, et à fortiori dès mes premières expériences en médecine généraliste libérale : j’avais alors plus l’impression d’endosser un vêtement autorisé par la faculté que de soigner vraiment.
De la médecine technique…
J’avais lu « La Némésis médicale » d’Ivan Illich, paru en 1975 (et encore parfaitement d’actualité) dans lequel l’auteur, pour la première fois, aborde le problème des maladies iatrogènes (générées par le médecin).
Notre médecine technique est fabuleuse par les prouesses qu’elle permet de réaliser : médecine d’urgence, chimiothérapies permettant la guérison de certains cancers, progrès de l’anesthésie permettant une chirurgie complexe et efficace, progrès de la chirurgie cardiaque et de la neurochirurgie, de la chirurgie coelioscopique, antibiotiques guérissant des maladies infectieuses souvent mortelles en particulier le sida, etc.
Mais elle est aussi la troisième cause de mortalité aux Etats-Unis (maladies nosocomiales, effets secondaires des médicaments, de certains dépistage abusifs). Le scandale des lourds effets secondaires du Viox, de l’Agreal, du Médiator (500 à 1000 décès), de certains antidépresseurs a fait la une de nombreux journaux2.
De plus, la pénétration de l’industrie pharmaceutique dans l’information des médecins (malgré, depuis quelques années une tentative de régulation) ainsi que le manque d’experts indépendants et fiables conduit à une opacité de plus en plus grande de ce système, tant pour les patients que pour de nombreux professionnels de santé.
Quels sont les effets secondaires du traitement hormonal substitutif de la ménopause ? Quelle est l’efficacité du vaccin contre les papillomavirus ? Le coût du vaccin est exorbitant, les conséquences à long terme sont mal connues et les liens financiers entre les experts, y compris ceux de l’H.A.S., et les industriels qui commercialisent le vaccin sont imprécisés (malgré une loi récente imposant leur mention, les conflits d’intérêt ne sont en effet, pas toujours notifiés au consommateur, au malade).
Ivan Illich en 1975 évoquait également la iatrogénèse sociale de notre médecine soulignant la déresponsabilisation du patient vis-à-vis de sa santé : « Dans les pays développés, l’obsession de la santé parfaite est devenue un facteur pathogène prédominant. Le système médical, dans un monde imprégné de l’idéal instrumental de la science, crée sans cesse de nouveaux besoins de soins. Mais plus grande est l’offre de santé, plus les gens répondent qu’ils ont des problèmes, des besoins, des maladies…».
… à une médecine intégrative
J’utilise donc bien sûr, en tant que médecin spécialiste en médecine générale, le modèle biomédical, scientifique, de la médecine universitaire, l’« Evidence Based Medecine » -la médecine basée sur des preuves-, fondée sur ce que François Laplantine3 appelle un « déterminisme étiologique » (réparer l’organe défaillant en première intention), mais je le complète depuis 27 ans par d’autres approches qui s’enrichissent mutuellement et qui, toutes, ont pour point commun, d’une part de concevoir l’homme comme une globalité, une totalité, un « corps-esprit réuni », et d’autre part d’être respectueuses de l’homme et de son environnement, une médecine écologique en somme.
Mon expérience depuis 2001 à Médecin du Monde, Mission France, m’a permis de soigner des malades très différents de ceux qui viennent à mon cabinet, appartenant à des milieux de grande précarité ou étrangers sans papiers, victimes de traumatismes divers : cette expérience, irremplaçable, m’a donné l’occasion de percevoir ici de manière exemplaire toute l’importance du contexte social dans lequel évoluent les patients.
Elle m’a permis aussi, me situant là comme observateur, de développer le regard extérieur. Ce travail s’est poursuivi en groupe de pair.
Ce groupe (GDP SFMG) est pour moi d’une grande richesse : nos soirées passées à échanger et confronter en toute humilité nos consultations, nos expériences et nos doutes, créent l’espace qui permet ce pas de côté par rapport à la pratique et le questionnement (toujours subversif) : « ouvrant à la portée curative ou thérapeutique de la question, c’est à dire la possibilité d’une mise en question reconduisant la question à la radicalité de la question » comme l’exprime clairement le philosophe Bernard Stiegler4 dans son livre .
Il nous permet de constater une transformation des pathologies : pathologies liées à la souffrance au travail, témoignage criant d’une grande souffrance sociale, augmentation du nombre de cancers du sein vus en consultation, des allergies de toute sorte, de l’obésité, de la dépression bien sûr et l’apparition de nouvelles pathologies (intolérance chimique multiple, fatigue chronique,…)
Mes missions en Inde du Nord, auprès de la communauté tibétaine, en Chine et en Afrique m’ont fait rencontré des médecins tibétains, des médecins traditionnels chinois et des guérisseurs, soignants et tradipraticiens, tous curieux de connaître, d’apprendre et d’échanger : j’ai trouvé auprès de ces soignants, diplômés ou non, une grande ouverture d’esprit. Comment en effet ne pas être étonnée de voir des médecins tibétains dont beaucoup ont été torturés par les chinois, curieux d’apprendre et de se former à la médecine traditionnelle chinoise ?.
D’autres médecines ont en effet depuis des siècles existé et continuent de se côtoyer (l’OMS donne une part importante aux médecines traditionnelles) et si le modèle biomédical est malgré tout dominant, cela n’est sans doute pas sans lien avec les lobbies pharmaceutiques.
David Le Breton5, soulignant les carences anthropologiques de la médecine contemporaine, écrit : « Le médecin, pour mieux comprendre, dépersonnalise la maladie. Dans l’élaboration graduelle de son savoir et de son savoir- faire, le médecin a négligé le sujet et son histoire, son milieu social, son rapport au désir, à l’angoisse, à la mort, le sens de la maladie, pour ne considérer que le mécanisme corporel ».
La médecine universitaire fait le pari du corps, elle repose sur une anthropologie résiduelle estimant possible de soigner la maladie perçue comme étrangère et non le malade en tant que tel. Cette manière d’approcher le malade présente deux écueils : elle le considère comme un objet et le morcèle en le découpant en organes. Par ailleurs elle devient de plus en plus iatrogène.
Or, je me suis rendue compte, au fil des années de ma pratique de généraliste, que ce que le malade attend d’abord du médecin, c’est une écoute accueillante de la globalité de son être souffrant, lui permettant de faire des liens entre les évènements de son histoire. Cette simple écoute pose déjà la première pierre d’une guérison du malade car elle met en branle ses capacités d’auto-guérison.
L’art d’entretenir la vie
Je pratique une médecine intégrative6. Je me suis tournée d’abord vers l’homéopathie et la phytoaromathérapie, ensuite vers la médecine traditionnelle chinoise, puis vers la médecine psychosomatique.
J’ai toujours été sensibilisée à l’aspect préventif, à ce que la tradition chinoise appelle « le Yang Sheng Fa » : l’art d’entretenir la vie, et c’est pour cela que j’ai enseigné le qi gong. Je me suis tournee grace à la rencontre désisive avec Jean-PAul Curtay à la nutritherapie puis à la micronutrition.
En effet, la pollution environnementale entraîne souvent une telle « pollution » du corps par les colorants, les pesticides, la polymédication et la mauvaise nutrition que la guérison ou l’amélioration de l’état de santé ne peuvent souvent être obtenues sans son aide (en particulier dans les maladies cardiovasculaires, la fatigue chronique, la fibromyalgie, l’obésité, les maladies auto-immunes, les maladies allergiques…).
Une pollution plus pernicieuse encore existe :celle qui fait de nous des êtres carencés en lenteur,calme,continuité.Sans cesse interrompus par les sms, les mails et les téléphones portables,la société de l’efficacité,de la performance et de la rapidité nous fait prendre les choses urgentes pour les choses importantes ; qu’est ce qui pour nous est vraiment essentiel au fond ?
L’accélération des rythmes de vie, tant au travail que pendant nos moments de loisir génère, selon le sociologue Hartmut Rosa7 « une nervosité permanente de l’homme contemporain touchant gravement nos capacités de réflexion, de mémoire, de communication avec nos proches…». A cette perte de la conscience du soi, de l’appréhension du sens et des conséquences de nos actions, des techniques spécifiques peuvent être proposées8
Je me situe alors comme un enseignant, un docteur, au sens propre du terme « celui qui enseigne » (du latin « docere » : enseigner). Enseigner le maintien de sa santé par la nutrition, l’activité physique, le respect de l’équilibre fragile du corps et de l’esprit, rappeler l’immense potentiel qui réside en chacun et responsabiliser les patients face à leur santé dès le plus jeune âge. C’est un des objectifs que je donne à ma pratique et que j’espère communiquer à travers ce site à mes patients dans une interactivité toujours facteur d’enrichissement mutuel.
1 CANGUILHEM, « Le normal et le pathologique » – PUF, 1966
2 CADU C., « Le scandale du médiator, comment l’industrie pharmaceutique nous manipule » – Marianne, N°705, Oct 2010
3 LAPLANTINE F., « Anthropologie de la maladie » – Payot, 1992
5 STIEGLER B., « Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue, de la pharmacologie » – Flammarion, 2010
5 LE BRETON D. – « Anthropologie du corps et modernité » – Paris, PUF, 1990, 2000
6 DIEHL V. – « The bridge between patient and doctor » : the shift from CAM to integrative medecine Hematology Am Soc Hematol Educ Program. 2009 – 320-5
7 HARTMUT R., « Accélération, une critique sociale du temps » – La Découverte, 2010
8 ROSENFELD F., » Méditer, c’est se soigner » – Paris, Les Arènes, 2007
8 RICARD M., « Méditer, pourquoi, comment » – NIEL ed., 2O10